Vers Mersin via Anamur
La dernière nuit, la tente est secouée comme un fétu de paille. Je sors retendre les cordes et enfoncer au maximum les piquets. A peine suis-je rentré que l'orage se déchaîne avec une forte pluie martelant la toile. Nous craignons de subir une inondation. L'orage s'éloigne aussi vite qu'il est venu emmenant avec lui les rafales de vent et la pluie. Rassurés nous nous endormons. Au matin, dans le petit auvent subsiste une flaque d'eau. Mes tennis y surnagent.
Pauvre chien
Il nous a gardé. Il croit qu'à notre tour nous allons le faire. Le berger allemand qui pendant quatre nuits a dormi près de notre tente, le dos appuyé sur la toile, nous suit du regard dans nos rangements. Lorsque nous montons sur le tandem et quittons le camping il est derrière nous. Nous pensons qu'au bout de quelques centaines de mètres il fera demi-tour. Après un kilomètre il trottine toujours derrière la remorque. Avec de grands gestes Bernadette essaie de le renvoyer, sans résultat. Des faux-plats nous ralentissant le chien nous devance. Une première descente nous permet de nous éloigner mais plus loin il nous rattrape. Au troisième kilomètre, Bernadette, à contrecoeur, prend sa canne et donne un coup sur le flanc du chien qui gémit. Prudent, il continue à suivre mais à une centaine de mètres. Une longue descente nous permet enfin de prendre de la vitesse. Le chien ne continue pas. Nous ne pouvions l'emmener mais nous sommes tristes.
Gazipasa n'est qu'à 29 kilomètres du camping mais à cause d'un fort vent de face et une route aux forts et nombreux dénivelés nous mettons quatre heures pour l'atteindre. Petit hôtel à 15 000 000, sans chichi mais propre.
Savoir donner et recevoir
Notre carte au 1/1 000 000ème n'est pas précise mais elle annonce des cols à 11 et 14%. Nous risquons d'avoir des surprises. La première est de 10%. A chaque virage nous espérons rester à la même altitude ou descendre mais cela monte toujours. Nous traversons des petits villages aux maisons accrochées aux flancs des montagnes. Les habitants nous saluent gentiment de la main. Les enfants marchent auprès de nous, surpris de notre lenteur. Un homme, sur le bord de la route, le visage buriné par le soleil et les intempéries, nous offre dans une montée, deux amandes sorties de sa poche, sans que nous nous arrêtions. Sans penser aux microbes dont elles sont porteuses nous les mangeons. Nous faisons un signe de gratitude de la main auquel il répond de la même façon. Plus loin, alors que nous sommes arrêtés, pour récupérer et grignoter des biscuits, deux femmes passent près de nous. L'une porte sur son dos, comme le font les africaines, un enfant d'environ deux ans. A ses pieds un enfant de trois ou quatre ans. Ce dernier, voyant le paquet de biscuits se poste carrément devant moi. Je lui donne un gâteau ainsi qu'à l'enfant sur le dos de sa mère. Personne ne dit merci. Apparemment ce n'est pas dans les coutumes. Lorsque nous repartons nous retrouvons la femme avec l'enfant sur le dos qui nous arrête. Elle a un sac avec de grosses et belles fraises. Prenant à pleines mains elle nous en donne trois poignées. Les gens d'ici savent dire merci, à leur manière.
La route monte toujours. A 400 mètres nous sommes dans les nuages. Nous sommes fatigués. A part les biscuits, les fraises et des bananes nous n'avons pas fait de repas. Redescendus à 200 mètres nous n'avons plus les nuages. Il est 15 heures 30, dans une heure il va faire nuit. Nous cherchons un endroit pour camper. Un homme propose de nous accueillir chez lui à un kilomètre mais ses odeurs de sueurs et la propreté des ses vêtements nous laissent perplexes sur l'aspect de sa maison. Nous remercions disant préférer planter notre tente sur le terre plein sous les pins qui se trouve tout près. 16 heures 45, installés, nous prenons notre repas, un potage et une boite de haricots, éclairés par une lampe frontale.
Notre popote nous permet de faire un petit déjeuner satisfaisant. Alors que nous sommes sur le départ, un homme arrêté sur le bord de la route tout près vient nous donner, sans rien dire, à chacun un bonbon. Ce sucre a-t-il pensé nous fera du bien pour l'ascension des 400 mètres qui nous attendent. Autour de nous le vent fait tourbillonner les nuages. Alors que nous arrivons au sommet d'un petit col le vent de face est si fort que nous devons descendre de tandem et pousser, ce qui ne se fait pas sans difficulté. Une fois le col passé le vent nous pousse dans le dos. Nous devons appuyer dur les poignées de freins au maximum. La descente jusqu'au bord de mer est vite faite.
Les grandes eaux.
Nous trouvons un camping près d'une petite plage. C'est tellement caillouteux qu'il nous est impossible de poser la tente. De plus, l'air patibulaire du patron finit de nous en dissuader. En contrebas, un peu avant la plage, dans une sorte de vallonnement se trouvent des pins parasols. Dessous des aiguilles, comme la nuit passée nous serviront de matelas. Nous nous installons sous l'oeil goguenard du patron du motel-restaurant-camping. Nous sommes bien. Lors de la préparation de nos pâtes une ondée nous oblige à nous replier sous la tente. Cela s'arrête rapidement. Nous passons une bonne nuit.
6 heures 30, nous entendons au loin des grondements. 7 heures 15, les premières gouttes commencent à tomber. En quelques minutes ce sont des trombes d'eau accompagnées de rafales de vent. Bientôt la tente est inondée sur plus de cinq centimètres. Dans le auvent nous mettons les affaires sur les sièges pliants. Dans la tente, Bernadette a rassemblé toutes les affaires dans des sacs de plastique. Malgré la pluie battante, elle décide d'aller se réfugier au restaurant. Je reste pour empêcher la toile de s'en aller à la mer. 8 heures 50, l'orage s'en va doucement en emportant le gros de la pluie. La toile intérieure est trempée. Dehors, je relève le tandem qui est tombé. Dans la remorque tout est bien sec. Près du restaurant, j'ai la surprise de voir Bernadette, grelottante, à demi enveloppée dans une couverture de survie. Elle dit que le restaurateur lui a fermé la porte au nez. 9 heures, ce dernier nous propose de rentrer et de nous louer une chambre dans son motel en frottant explicitement son pouce et son index. Le regardant bien fixement nous lui faisons comprendre qu'il peut aller se faire voir. Nous restons encore un moment à demi-abrités que la pluie cesse. A la tente, peu de dégâts, seulement la boite de sel qui nage. Par contre, tout est à faire sécher. Par chance, le soleil se met à briller généreusement. Pendant que les affaires sèchent sur les buissons, nous préparons et prenons le petit déjeuner, notre table installée juste de l'autre coté de la route face au restaurant. Le restaurateur après avoir jeté un coup d'oeil préfère se cacher. A midi, tout est rangé, nous pouvons partir.
Nous n'avons pas fini de gravir notre Everest. Les 17 kilomètres qui nous séparent d'Anamur nous réservent encore des efforts. Parfois, nous allons si peu vite que le compteur, sans doute fâché marque zéro. Dans un dernier virage, nous voyons enfin au loin dans la plaine, la ville d'Anamur avec ses minarets. La descente doit être faite avec prudence. Nous nous arrêtons à plusieurs reprises pour laisser refroidir les jantes qui sont brûlantes à cause du freinage. A Anamur, le motel-camping est fermé. Nous trouvons en ville un hôtel, très moyen, avec eau chaude, chauffage et petit déjeuner pour 24 000 000 de livres (13,00 €). La douche, après trois jours de route, est accueillie avec bonheur.
Anamur.
Alors que nous sommes à prendre le petit déjeuner, un homme, parlant un peu français, vient nous dire qu'il nous a vu à la télévision turque et aussi sur le journal Posta. C'est le résultat de l'interview d'Alanya. Il n'a plus le journal, hélas.
C'est notre deuxième journée à Anamur. La pluie et les orages n'ont pas cessés depuis notre arrivée. Armés de nos parapluies nous nous promenons quand même en ville. De fréquentes coupures d'électricité perturbent nos séances d'internet. Sortant de déjeuner nous apercevons un 4X4 Lada, immatriculé en Savoie, garé devant le restaurant. Une femme est à la place du passager. Nous lui disons bonjour. Elle dit s'être installée avec son mari dans la région d'Anamur ou ils font construire une maison. Quelques minutes plus tard, le mari arrive accompagné d'un ami turc. Avant de nous quitter nous échangeons avec le couple Pajean nos adresses internet. Sur le chemin de l'hôtel nous achetons deux bières et 1 kg de cacahuètes. Dans la chambre, lorsque nous décortiquons les arachides nous nous apercevons qu'elles ne sont pas grillées. La gourmandise est toujours punie.
10 décembre, c'est notre 36ème anniversaire de mariage. Le temps a mis ses plus beaux habits. Nous cherchons en vain un restaurant qui ne fait pas de kebab. C'est devant un plat de pâtes après un apéritif que nous fêtons l'anniversaire.
La route entre Anamur et Aydincik est truffée de montées longues et difficiles. Des coupe-jarrets à 15% nous obligent à descendre du tandem et à pousser à plusieurs reprises. C'est complètement vidés et frigorifiés par le vent du nord que nous arrivons enfin à Aydincik. A un poste de police nous demandons aux fonctionnaires de nous indiquer un hôtel convenable. Il fait nuit. La rue n'est pas éclairée. Nous avançons avec prudence en évitant les nombreux trous dans la chaussée. Le vent glacé tourne sans arrêt, venant tantôt de gauche, de droite, de derrière. Voyant une enseigne de motel je laisse Bernadette près du tandem et je vais voir. C'est un infâme bouge, sale, avec des chambres à six lits. Les clients sont essentiellement des ouvriers. De retour près du tandem celui-ci est gardé par un homme qui me dit que ma femme est à l'intérieur de l'épicerie toute proche. On lui a donné un siège, un chaï et placé devant elle un radiateur à gaz. On m'offre aussi du chaï. Un homme nous parle à nouveau de l'article passé dans le journal Posta. Il n'a plus l'article qui a servi à emballer du poisson. Une fois que je suis réchauffé, l'homme au journal, propose de nous accompagner à l'hôtel du Pêcheur déjà indiqué par les policiers. L'hôtel est simple mais on y sent autant la chaleur du coeur que celle du radiateur qui trône au centre de la pièce. Les chambres ne sont pas chauffées mais de gros édredons et des couvertures supplémentaires nous empêcheront d'avoir froid. Le repas est pris en compagnie de Peter, un allemand, qui parle français. La pizza de Bernadette, mes brochettes de viande et les frites réparent les faiblesses de notre alimentation de la journée. Le patron, ancien pécheur (d'ou le nom de l'hôtel) nous propose ainsi qu'à Peter d'aller faire une visite à son frère qui est ancien professeur de français. Bien que fatigués nous acceptons espérant seulement que la soirée ne sera pas trop longue. Le frère nous retient jusqu'à minuit. La conversation intéressante au début devient stérile la dernière heure, le raki, (une boisson anisée alcoolisée) affaiblissant les facultés intellectuelles de notre hôte. C'est avec quelques bâillements que nous prenons congé, pressés de gagner le lit et son édredon.
Le matin, nous déjeunons à la française à l'aide de notre popote. Le patron qui avait préparé une soupe de poissons à notre intention est déçu.
La journée se passe en efforts continus. La route comme hier est truffée de pentes accentuées. A Ovacik le motel annoncé se trouve encore à trois kilomètres. Nous les franchissons au bord de l'épuisement. Le vent glacial nous raidissant malgré nos vestes polaires et les cirés plastiques. Nous sommes les seuls clients. Le motel, surtout fait pour les vacances d'été, ne dispose pas de chauffage. Bernadette en réclame un (ou le prix de la nuit sera minoré de 5 000 000 de livres. Le gérant, consent , après bien des hésitations, à nous laisser son chauffage électrique mobile personnel, à conditions que nous rajoutions 2 000 000 de livres (1,80 €). Dehors, les rafales de vent se déchaînent. Des sifflements se font entendre aux joints des fenêtres. Tout en mangeant nos assiettes de pâtes, nous nous félicitons d'avoir trouvé ce motel. Un camping sauvage aurait été dur à vivre.
Le temps est très clair avec un léger souffle de vent. La route toujours aussi dure. Le matériel souffre autant que nous. Dans une ascension, nous entendons à diverses reprises de petits claquements. Ce sont des rayon de la roue arrière qui cassent. De retour au niveau de la mer je vérifie les dégâts. Cinq rayons sont cassés. Sans démonter la roue je change les quatre rayons cassés coté gauche et je règle au mieux. Le cinquième, coté pignons me prendrait trop de temps. Nous tentons un départ avec un rayon cassé.
Les dénivelés sont maintenant plus doux. Malgré cela notre moyenne a beaucoup baissée à cause du changement des rayons. La fatigue s'empare de nous. Bernadette a mal aux genoux suite aux efforts fournis ces derniers jours. Nous n'arrivons pas à Sifilké avant la nuit. Nous optons pour un camping sauvage. Une forêt de pins nous abritera un peu de la faible température nocturne (5° environ). Il est 14 heures. La tente montée nous déjeunons d'une soupe bien chaude suivie d'une macédoine aux légumes arrosée d'huile d'olive, de tabasco et de beurre. A 17 heures la nuit est tombée. Nous nous glissons dans nos duvets avec sur nous la couverture de laine et une couverture de survie. Je n'ai pas froid. Je réchauffe Bernadette qui semble frigorifiée.
Les faubourgs de Sifilké sont sales, les maisons non terminées. Le centre ville n'est guère mieux. Nous y trouvons un hôtel qui après discussion nous offre le gîte, le petit déjeuner et un chauffage pour 20 000 000 de livres. Si l'on nous avait demandé davantage nous aurions sans doute accepté tellement nous sommes fatigués. Miraculeusement, en face de l'hôtel se trouve un réparateur de cycles. Vérification faite la roue est fichue (jante fendue). Je demande une roue neuve mais avec mon moyeu à cassette. Une nouveauté pour le technicien qui place notre moyeu et rayonne la roue. Au restaurant nous réparons nos forces par un bon repas de poissons. Le patron nous offre le chaï.
La ville si elle n'a pas de charme possède tout au moins un capital. Elle a des restaurants à la cuisine correcte et variée. Nous décidons de rester une journée à nous reposer et à faire bombance. Tout aurait été pour le mieux si dans un point internet on ne m'avait pas volé mon bonnet de laine polaire (offert pas ma fille aînée). La colère et la déception sont à leur comble.
Conflit hôtelier
Les 50 kilomètres pour arriver à Erdemli sont faciles, seulement quelques cotes à 8%. Nous y trouvons , après d'âpres discussions, un hôtel à 20 000 000 de livres, eau chaude théorique, chauffage d'appoint mais pas de petit déjeuner. L'examen de la chambre nous apprend vite que la douche sera glacée, que les draps n'ont pas été changés, les serviettes manquantes et qu'il n'y a pas de papier hygiénique. Bernadette en bonne gouvernante fait remédier rapidement à tout cela (sauf l'eau chaude qui est solaire). Nous sommes à peine installés que l'on vient demander le prix de la nuitée. Nous répondons que ce sera fait demain. On revient encore trois fois. A la réception, on prétend que c'est le patron qui le demande. Lorsque je demande qu'on l'appelle il est introuvable. De guerre lasse Bernadette règle. Quelques minutes plus tard nous apprenons que le patron est tout bonnement l'homme de la réception. Bernadette le traite de faux cul. Même s'il comprend l'homme s'en moque. Il a reçu son argent. La nuit est au deux tiers passée lorsque nous avons une sensation de froid. Le chauffage électrique est éteint. Un fusible a certainement été enlevé. Nous nous serrons l'un contre l'autre. Nous ferons un scandale demain mais cela ne servira pas à grand chose. Au matin, en allant chercher le nécessaire pour le petit déjeuner dans la remorque je suis amusé par le personnel qui fait semblant en me voyant de chercher dans un tableau de fusibles. Je fais part du problème au patron qui fait l'étonné. Lorsque je reviens dans la chambre, ô miracle, le radiateur fonctionne à nouveau.
Au moment de partir nous voulons donner un pourboire à l'homme de peine de l'hôtel, lequel à sa manière a servi de fusible entre nous et son patron. Ce dernier sans doute voyant cette sympathie l'appelle avec brusquerie.